Le temps passe, rien ne se décide, les lecteurs du comité X sont des gens visiblement très très très occupés….Toujours pas de réponse, donc, mais la vie continue, et j’ai (entre autres) lu quelques livres. Pas de quoi faire un article dithyrambique sur le roman de la décennie, mais de « brèves notes ». Heureusement qu’il y a des bibliothèques, pour se tenir au courant de l’actualité littéraire, soit-dit en passant, car il est bien rare de dénicher une perle dans ce qu’il est convenu d’appeler les « crus de l’année »;
Commençons par le plus mauvais, le livre que je vous déconseille formellement:
UN TRES GRAND AMOUR de Franz Olivier Giesbert
F. O Giesbert ne se cache pas d’avoir parlé de lui et rien que de lui, dans ce roman: confessions intimes, auto-fiction, leçon de vie, auto-analyse, « Un très grand amour » se veut tout cela à la fois, et au final on obtient….pas grand chose. F.O Giesbert a eu beaucoup de femmes et beaucoup d’enfants: chaque fois qu’il tombe amoureux, il fait un enfant à l’aimée du moment; chacune de ces femmes finit par être délaissée pour la suivante dont le narrateur, très sentimental et versatile, tombe raide in love comme un djeune. Mais le bonhomme vieillit et son dernier grand amour se dissout lamentablement parce qu’il est tombé sur une femme moins douce et moins docile que les autres, cette compagne beaucoup plus jeune que lui, qui ne supporte pas qu’il soit atteint d’un cancer; peu importe, notre héros souffre mille morts d’être abandonné avant de ressusciter de ses cendres ; ce qui doit arriver arrive: il tombe amoureux de son infirmière, la vie reprend, on se dit que là, c’est dommage, il ne pourra plus faire d’enfants.
Ecrite par un Philippe Roth, cette histoire donnerait un roman fort , émouvant, très bien écrit; là on est face à l’exhibitionnisme d’un vieil adolescent de 60 ans, un gloubi boulga sans style, sans âme. Et dire que c’est publié chez Gallimard.
ROMANCE NERVEUSE de Camille Laurens
Camille Laurens n’a jamais caché son goût pour l’auto-fiction; son dernier roman paru n’échappe pas à son habitude d’utiliser des fragments de sa vie pour faire oeuvre littéraire. Dans « Romance nerveuse », elle relate une relation amoureuse qu’elle a vécue pendant quelques mois, peu de temps après avoir été « limogée » des Editions POL. Je ne vais pas revenir longuement sur cette affaire de plagiat qui l’a opposée à Marie Darrieussecq au moment de la sortie de « Tom est mort ». Ce qui est le plus intéressant n’est pas de savoir s’il y a eu ou non « plagiat »; non, ce qui est étonnant, c’est de constater comment un écrivain se voit renvoyer du jour au lendemain par un éditeur qui le publie depuis 15 ans: dans son livre, Camille Laurens explique que son éditeur n’a pas supporté qu’elle attaque un auteur « maison » à travers la presse. Il a donné sa préférence à l’une, alors qu’il aurait pu se fâcher, dire haut et fort son mécontentement quant à cette querelle, sans se comporter comme un employeur blessé de voir écorner l’image de sa boîte. Anéantie par cette trahison, Laurens dit être restée plusieurs mois sans écrire avant de se mettre à l’ouvrage pour « Romance nerveuse ». Sort de cette triste affaire, un roman aussi agaçant qu’émouvant. La narratrice, quarantenaire divorcée, rencontre lors des vacances d’été un paparazzi. Il a dix ans de moins qu’elle, il est beau, musclé et beau parleur, mais il regarde surtout la soeur de l’écrivain (qui reste indifférente à ses avances). Alors qu’elle pensait ne jamais le revoir, Luc la contacte à Paris, alors qu’il l’a totalement ignorée quand ils étaient à Djerba, sous le prétexte de jouer une partie de tennis. Ils entament dès le premier rendez-vous une liaison, d’autant plus cahotique que le photographe se révèle être à la limite de la psychopathie. D’emblée, alors qu’il viennent de faire l’amour pour la première fois, il dit à sa conquête qu’il l’aime, tout en la traitant avec ironie et désinvolture. Elle est sous le charme parce qu’il est jeune, hyperactif, sensuel, et (au début) salaud juste ce qu’il faut pour intriguer cette femme dont on devine qu’elle est assez seule et fragilisée par sa position d’auteur renié par son éditeur.
Une longue « romance » à tendance sado-masochiste lie pendant des mois les deux personnages : Luc fait l’amour avec passion, réclame de l’amour, jure qu’il est amoureux fou, et dans le même temps il insulte, fuit, revient, fuit à nouveau et se complait dans un rôle de sale gosse victime de son passé (il dit avoir été violé par son frère pendant des années). La narratrice perd pied et s’éloigne quand elle s’aperçoit qu’il est beaucoup plus attiré par les hommes, et la trompe sans arrêt avec des types rencontrés sur internet.
On est irrité par cette histoire pathétique et en même temps captivé par ce qui se révèle un étonnant portrait d’homme du troisième millénaire, ce paparrazi déjanté à la fois lamentable et flamboyant.
Je recommande ce roman à ceux qui apprécient les histoires d’amour qui finissent mal…Ce sont souvent celles qui donnent les meilleurs livres.
EXTRAIT:
« Pour l’instant, il dit qu’il arrive et il rentre chez lui, il se penche vers moi pour m’embrasser et bâille à plein gosier, il grille un feu devant les CRS alors qu’il m’accompagne à l’aéroport où je dois prendre un avion, il me laisse un message graveleux pendant les obsèques d’un de mes amis, il prend un étron en photo et me l’envoie en mms, il veut que j’achète un iPhone pour remplacer mon vieux mobile out of fashion, et devant mon refus obstiné demande au vendeur qui s’approche aimablement ce qu’il a comme modèle pour femmes mûres, il traite de dondon une copine d’Alice qui est anorexique, il hurle « fais-moi un café sale pute » au matin d’une nuit très tendre ou bien il me conseille de faire des exercices du périnée, parce que bon, après deux enfants…, sur une belle édition de Baudelaire, il pose un verre de punch qui laisse un cerne, il passe au téléphone la moitié du dîner dans le restaurant feutré où je l’ai invité pour son anniversaire, il cherche la scène qui déploiera le malentendu, le geste qui fera déborder le vase, la crise qui justifiera la rupture, avant l’excuse qui permettra de revenir, le cadeau d’attendrir, la parole d’émouvoir, il cherche sans discontinuer l’offense et le pardon. »