The medium is the message

(© Nicolaï Lo Russo)
Nicolaï Lo Russo, photographe, dont vous pouvez découvrir le talent ici a vu son premier roman publié le 7 octobre 2009 dans la collection m@nuscrits de Léo Scheer. J’avais lu l’intégrale d’ « HYROK » au mois de novembre 2008, lorsque le manuscrit avait été publié en ligne sur le blog de l’éditeur. Nous sommes nombreux parmi ceux qui suivent cette expérience, à être ravis de pouvoir lire la version définitive sur papier.
Le « résumé » d’HYROK de la 4ème de couverture est particulièrement bien écrit, et donne un excellent aperçu de ce long et très beau roman:
« Voici l’histoire du destin édifiant et tragique de Louison Rascoli, photographe talentueux, artiste naïf, écorché vif et amant malheureux, dont on suivra les trois dernières années – mises en forme et commentées par son fils Hope en 2044 -, au terme desquelles il finira bien malgré lui par produire la photographie la plus chère du monde et se retrouver à l’origine d’un terrifiant mouvement artisitique.
Roman des illusions perdues, en ce début de XXIème siècle caractérisé par les réseaux, le simulacre et par ce que d’aucuns appellent déjà l’hypermonde, HYROK est aussi un état des lieux sur l’image dans une société en mutation, ainsi qu’un constat lucide, parfois drolatique, sur le désenchantement de la chair et l’éclatement des relations humaines. »
Voici l’histoire du destin édifia
On peut consulter une intéressante vidéo dans laquelle Nicolaï répond aux questions de Florent Georgesco et Julia Curiel, directeurs littéraires aux ELS.
Je suis toujours très curieuse de savoir comment les auteurs travaillent, et j’ai envie de comprendre ce qui les a poussé à consacrer des centaines d’heures de leur vie à « tricoter » un texte, à faire en sorte que d’un labeur dont on n’imagine pas la difficulté, quand on ne s’est jamais lancé dans « l’arène », sorte un livre abouti, digne d’être publié. Nicolaï a bien voulu répondre aux questions que je me posais sur l’écriture d’HYROK, sans se départir de son humour décapant (voir la Brosse Gherta, son blog). Je l’en remercie infiniment. Je suis certaine que ses réponses apporteront beaucoup à ceux qui lisent ce blog, à tous ceux qui s’interrogent sur cette activité à la fois si « simple » et si insaisissable qu’est l’écriture d’un roman.
1. Vous dites avoir commencé l’écriture de HYROK en 2006. Avant de vous lancer dans cet ambitieux projet (500 pages pour un premier roman c’est gonflé), écriviez-vous des nouvelles ou des textes courts destinés à rester (ou pas) dans un tiroir ? J’imagine que comme beaucoup d’auteurs, vous ne vous êtes pas mis à avoir envie d’écrire du jour au lendemain ?
Je n’écrivais rien, avant… Rien… C’est tombé sur moi comme ça… Le Doigt de Dieu m’a désigné vous savez… Un jour j’étais en train d’éplucher des patates dans ma sombre cuisine, pour me faire une petite purée avec un peu de jambon d’hier… et voilà que j’entends une voix, Marie !… Une de ces voix cristallines comme celles que vous n’entendez qu’une fois ou deux dans votre vie !… Et là, après quelque inquiétude, j’ai compris… J’ai compris qu’il fallait que je me mette à table, avec des piles de dictionnaires, tout le barda… Que j’obéisse à la Voix… Ça a pas été facile au début, moi qu’avais jamais rien écrit… oui enfin juste des petits trucs à des copines… à ma maman pour son anniversaire… ou la Fête des Mères… des tout petits trucs de rien du tout… pas très ambitieux… Alors oui… j’ai commencé à écrire ce drôle de roman… J’avais très peur… Chaque fois que j’écrivais une connerie, un truc qui sonnait mal, j’avais la Voix, derrière, qui me disait « mais non, pas comme ça, Nico… t’es pas très bon pour les descriptions, fait simple, vivant… Et pense à la musique… » Elle me tenait la main cette voix… Ah sans elle !… J’ai eu de la chance de l’avoir. Une chance de spermatozoïde. Allez savoir si ça se reproduira…
2. Qu’avez-vous trouvé le plus ardu dans l’écriture de ce roman ? Faites-vous partie de la catégorie d’écrivains qui angoissent devant la page blanche et commencent à trouver du plaisir quand ils sont enfin arrivés au bout du premier jet, ou de celle des auteurs qui adorent écrire sous le coup d’une inspiration débridée, mais détestent le travail de réécriture (essentiel pour obtenir un texte qui tient la route) ?
Le plus ardu ? De trouver les bonnes piles longue durée pour mon clavier sans fil. Non, plus sérieusement, allez… Ok ok. Le plus difficile c’est d’écrire avec discipline je crois… D’entrer vraiment dans la haute chapelle, avec son petit stylo en plastique… Se mettre à l’établi et rester collé sans débander pendant trois heures ; ou pendant mille mots/jour. Se fixer des objectifs. Faire un plan au milieu des bougies. Faire des schémas. La structure du roman m’a pris un temps certain. Savoir ce que je voulais dire, comment le dire, avec quelles astuces narratives. Je suis quelqu’un qui prépare beaucoup. Pour faciliter ensuite. (Rendre moins difficile en tout cas.) Savoir à peu près où je vais. Même si la trajectoire se modifie en cours de route, il faut avoir un horizon dessiné. Un clocher au loin, où accrocher ses yeux ; essayer de le rejoindre. Autrement c’est l’océan. Remarquez, écrire sans boussole et sans plan, ça peut marcher pour des romans courts, qui parlent d’un truc, qui approfondissent un sentiment, un pan précis de l’histoire d’une vie, que sais-je… Mais HYROK est polymorphe, traite de plusieurs thèmes – ce qui semble dérouter un peu au premier abord, les deux cents premières pages –, mais qui finissent par tisser un réseau de correspondances, donner la cohérence. En cinq cents pages, ça commence par dix fils, ça se tresse, et ça termine par une terrible corde. Schématiquement. Et ça, sans boussole, sans guide, c’est juste impossible. Quant à la réécriture, oui, j’ai fait dix versions pour HYROK. Scie, puis sécateur, ciseau, ensuite papier de verre grossier, moyen, puis fin, extra fin. Ecrire c’est un peu comme ébéniste, à mon sens. (C’est vrai, je le concède volontiers, il y a des petits meubles IKEA qui sont formidables, qui fonctionnent très bien et très longtemps ; mais c’est rare.)
3. J’ai eu l’impression de lire un roman sur l’échec. Louison Rascoli, photographe de mode qui tente de devenir un professionnel reconnu et correctement payé, donne l’image désespérante de quelqu’un qui passe une bonne partie de sa vie d’adulte à se heurter à d’insurmontables obstacles, malgré son talent et des efforts démesurés. Votre vision de l’existence est-elle aussi noire quand elle n’est pas couchée sur du papier ?
J’ai une grande tendresse pour les ratés magnifiques. Ceux-qui-avaient-tout-pour-plaire-mais-la-vie-a-fait-que. Louison Rascoli est un personnage brillant, très seul, plein de volonté, d’envies, mais comme il le dit lui-même, « très pote avec le désastre »… Par ailleurs, la réussite, sur le plan romanesque et dramaturgique, me semble beaucoup moins riche que l’échec. Le bonheur n’intéresse que peu (ou alors pour la plage). Suscite mal l’empathie. Voyez ce qu’ont écrit Céline, Balzac, Maupassant, Houellebecq, tant d’autres. On aime le drame, le ratage, le manque, ce qui ne va pas. Ce qui pose problème. Comme vous le savez, et si vous prenez dix personnes au hasard, une « réussit » – tant mieux pour elle –, alors que neuf « passent à côté », s’échinent, souffrent, n’en peuvent plus. Vacillent. Crèvent. Est-ce une vision « noire », dans HYROK ? Un peu, sans doute, mais pas noircie, pas tant que ça. C’est, j’en ai bien peur, une part de réalité crue, aphone, de ce monde difficile. On fait mine ; On surmonte en serrant les dents. On donne une bonne image. « Ça va vous ? – Oui, ça va super bien. (Mon oeil…) ». Comme le dit je ne sais plus quel fameux chef de guerre asiatique « de défaites en défaites, jusqu’à la victoire ». C’est ce qui m’intéresse. Et que j’ai envie de (faire) dire.
4. Même en amour, Louison se plante royalement. Pensez-vous qu’avec Violette, il ait choisi inconsciemment la mauvaise personne, celle qui allait lui en faire baver un maximum ?
Inconsciemment certainement pas. Il est, je crois, tout à fait lucide sur la difficulté de l’entreprise, même si parfois il fait montre d’une certaine naïveté. Ils ont, elle et lui, plus de vingt ans de différence. Violette c’est la fraîcheur, la jeunesse frivole, l’espièglerie – quoi qu’elle porte en elle un vrai drame de vie, mais ça Louison ne l’apprend que tard. Ne perdons pas de vue que le désir c’est la distance. Ce sont les contraires, l’inconnaissance de l’autre qui attirent, excitent ; rarement pour le meilleur, souvent pour le pire. Autrement c’est de l’attachement, inhibiteur du désir (comme on l’oublie trop souvent). Violette a son monde, ses « potes », ses lubies de gamine, ses coins obscurs. Un monde que Louison trouve fascinant, bien révolu (pour lui), et dans lequel il tombe non sans avidité. Pour Louison, Violette figure le fantasme – fantasme de chair –, presque l’interdit, l’impossible. Comment ne pas sombrer ? Bien sûr qu’il en bave, qu’il en crève d’amour, mais il vit des heures résolument passionnantes. Donc destructrices.
5. Vous abordez longuement dans HYROK, la question du sexe sur Internet. Est-ce finalement si différent comme phénomène de compensation à la frustration sexuelle, comparé à l’époque où les cinémas porno étaient très fréquentés, où la presse hard se vendait énormément ?
Gros chapitre ça, en effet. Très préoccupant. C’est très différent oui, beaucoup plus dangereux qu’avant. Pourquoi ? Parce que c’est là. « A un clic de souris blanche », comme dit Louison. Et en quantité astronomique. Terrible venin, satanée drogue, pour qui « aime ça » et n’a pas forcément le temps ni les moyens de faire autrement. On commence à peine, aujourd’hui, à estimer les ravages que ça produit chez une partie de plus en plus importante de la population. La cyberaddiction sexuelle. Hommes comme femmes, bien entendu (eh oui, vous n’êtes plus du tout à l’abri, mesdames…). Je suis ravi d’aborder dans HYROK ce sujet dont on ne parle que peu, de peur de sembler inconvenant. Gros tabou ça, encore, la « branlette sur internet »… Ça fait pas très chic dans les dîners, c’est sûr (où l’on préfère parler du dernier gode de Sonya Rykiel) Mais attendons d’avoir quelques lecteurs pour évoquer la chose avec plus de profondeur, plus de franchise aussi, pourquoi pas. C’est bien de parler de ces images aussi, d’autant que j’ai imaginé, dans le roman, le pourquoi de leur présence obsédante, de leur facilité d’accès… Il y a toujours une raison.
6. Envisagez-vous de consacrer à nouveau beaucoup de temps à l’écriture d’un second roman ?
Comme je l’ai dit dans la vidéo sur le blog des éditions Léo Scheer, HYROK, quoi que tout à fait autonome et clos au plan de l’histoire, est en mesure d’attendre une suite, qui se passerait, pour le coup, autour de 2050 (à ce titre, j’entr’ouvre quelques voies possibles, à la fin du roman). Mais comme je n’écris que lorsque je sens en moi un mûrissement sincère, naturel, outre une vraie nécessité – ce qui peut prendre des années –, ça risque, en effet, de mettre un « certain temps » comme disait l’autre en touchant son canon. Bien sûr, entre deux, je ne m’interdirai pas de commettre des lignes plus simples, plus modestes en taille, expérimentales ou ludiques. Faire du meuble IKEA (ça se vend fort bien). Pour faire vivre un peu mon blog, peut-être pour un petit livre compilatoire à l’occasion, et parce que j’aime écrire. Pour répondre plus globalement à votre question, je ne me vois pas comme un véritable « romancier », un type qui « ne fait que ça », qui a devant lui une dizaine de bouquins de prévus. Non, ça, c’est pas moi. La machine à écrire. Et puis bon, ce n’est pas toujours nous les auteurs qui décidons vous savez. On ne sait jamais ce que l’avenir nous réserve, c’est bien pour ça qu’on l’aime, cet avenir incertain. Il faut croire au vent, aux forces qui poussent, décident parfois pour nous. Etre souple, aussi, s’accommoder des myriades de photons solaires.
7. Donnez-moi votre définition de ce qu’est un écrivain ?
Voyez, Marie… c’est cette silhouette, là-bas dans la brume… assise sur le banc au milieu des oiseaux et des enfants qui jouent… Qui observe, immobile… Qui réfléchit, sans doute beaucoup… Homme ? Femme ?… Difficile à dire, on voit mal son visage… Elle se fond un peu dans le paysage cette silhouette, avec son manteau sans couleur… Approchez-vous, Marie… Voyez sa main… sa main droite… Regardez bien comme elle est nerveuse cette main… On dirait une pieuvre qui va se jeter sur un poisson-stylo… »
Voilà, maintenant que vous savez tout ou presque sur les origines d’HYROK, vous savez ce qui vous reste à faire: acheter ce roman, et le lire… je m’engage à rembourser ceux qui trouveraient le rapport qualité/ prix insatisfaisant. Je ne pense pas prendre beaucoup de risques;)