Paris, le 14 février 2010
Françoise,
Je te vois lever un sourcil en lisant ce sobre « Françoise ». Je t’ai habituée à tant de surnoms doux comme des loukoums: mon ange, mon amour, objet de mon désir, ma perle, mon aimée, ma préférence…Tu n’as jamais beaucoup aimé ton prénom, et tu l’aimes de moins en moins car il trahit ton âge. Tes parents t’appellent Fanfan, tes plus récents amis t’appellent Fanny. Moi, je préfère choisir au gré de mes humeurs. Et mon humeur est aujourd’hui coléreuse, nostalgique, mélancolique et dans le même temps, joyeuse et optimiste.
Françoise, c’est la dernière fois que je t’écris. Cette lettre écrite le jour de la Saint-Valentin est une lettre de rupture. On ne peut choisir meilleur jour, pour rompre, que celui de la fête des amoureux: pourquoi en ferait-on exclusivement la fête de ceux qui s’aiment éperdument ? L’amour a tant de formes y compris celle fatale du désamour; j’ai enfin compris que mon amour pour toi était moribond, autant l’achever aujourd’hui, ainsi nous n’aurons pas de mal à situer dans le temps la fin de notre liaison. Là, je te vois sourire: il y en a tant eu, des ersatz de rupture, des simulacres, des répétitions avant la finale, des coups de fils se terminant rageusement ou froidement, toujours pour cette lancinante demande de ma part, assez pitoyable, j’en conviens, de plus de temps, plus de présence, plus de TOI.
On parle souvent d’élément déclenchant pour les catastrophes, les maladies mentales, les crimes. Dans mon envie irrépressible de ne plus jamais te revoir, de ne plus te prendre au téléphone, l’élément déclenchant a été ton dernier affront, Françoise, ta dernière incorrection, étonnante chez une femme comme toi, si soucieuse de paraître civilisée, au dessus des ploucs (un de tes mots favoris). Je m’étais souvent aperçu que tu ne m’écoutais pas quand je te confiais mes soucis, mes peines, ces petits et grands chagrins auxquels personne n’échappe. Souviens-toi, il y a trois jours, je t’ai parlé de mon père, de mon inquiétude parce qu’il va subir une IRM pour vérifier qu’il ne souffre pas d’un cancer de la vessie. Tu m’as à peine écouté, tu te rhabillais et tu as dit « Ah oui, c’est embêtant », d’une voix distraite. Me doutant que tu allais parler vite d’autre chose, comprenant que je t’ennuyais avec ce problème qui ne te concerne pas, j’ai relancé, pour voir: « Cela m’angoisse, mon père n’a jamais été malade, j’aurais du mal à supporter qu’il soit atteint d’une maladie grave ». « On ne devrait pas vieillir, que veux-tu » as-tu lancé négligemment avant de boutonner ton chemisier. « Désolée, il faut vraiment que je me sauve, je suis déjà en retard. » Ce soir là tu te réjouissais d’accompagner une amie qui avait deux places pour une représentation à l’Opéra Garnier.
S’il n’y avait eu que cela; souviens-toi, quand j’ai eu ce lumbago qui m’a cloué au lit pendant dix jours. Tu es passée une fois en coup de vent, et tu as attendu pour me revoir que je sois parfaitement rétabli, et de nouveau performant sexuellement. Et ce cadeau que j’avais pris tant de soin à choisir pour ton anniversaire, ce châle en cachemire bleu, assorti à la couleur de tes yeux, d’une qualité exceptionnelle, qui m’a coûté aussi cher que l’ensemble des cadeaux offerts à ma famille pour Noël. Tu t’es exclamée « C’est adorable », mais j’ai bien vu que tu le regardais à peine. Et une heure plus tard, tu n’as pu te retenir de dire que tu avais reçu un manteau Rykiel dont tu rêvais. Tu m’as prévenu dès le début de notre liaison que tu étais très attachée à ton mari, que tu ne le quitterais jamais, qu’il était impensable que tout ce que vous avez construit soit anéanti fût-ce pour un amoureux auquel tu dis tenir énormément; soit…. mais est-ce bien venu de me parler de lui pour un oui ou pour un non, comme s’il était mon ami, comme s’il était entendu que je n’avais pas à être jaloux puisque que vous ne couchez plus ensemble depuis dix ans. Cela fait quatre ans que j’entends parler de cet homme, quatre ans que j’accepte la clandestinité, l’ambiguïté. Pendant longtemps, j’avoue avoir été séduit et même excité par l’idée de vivre un amour caché. Tu me connais, la vie quotidienne m’ennuie, et je ne suis pas de ceux qui ont un besoin vital d’une compagne à demeure. Mais le charme de ce jeu a fini par s’étioler, non pas que tu me plaises moins (je te trouve toujours belle, drôle, désirable), mais vois-tu, comprendre enfin que tu ne m’aimes pas, a fini par me rebuter; je ne peux plus t’écouter, te toucher, sans avoir l’impression un peu répugnante d’avoir à commercer avec une créature qui ne me veut pas que du bien, ou du moins, qui ne prend guère de précaution avec mes sentiments. Tu ne m’aimes pas, Françoise: tu aimes mon visage, mon corps, ma façon de faire l’amour, ma jeunesse, mon statut social de journaliste « qui a réussi à faire son trou dans l’équipe d’un grand hebdomadaire »; tu aimes mon humour, ma disponibilité, mon mépris pour les histoires d’amour banales et la médiocrité du conformisme. Oui, tu aimes tout cela, probablement passionnément, mais tu ne m’aimes pas MOI. Quatre ans, Françoise, cela fait quatre ans que je n’ai pas passé une journée sans penser à toi au moins deux ou trois fois par heure; même la nuit, je rêve souvent de toi, même au cinéma, je ne peux pas voir un film sans que ma pensée me ramène à toi. Tout ce temps consacré à une femme qui ne m’aime pas, qui n’aime qu’une image, des moments de plaisir, la vanité d’être aimée par un homme qui a vingt ans de moins, quoi de plus chic et de plus excitant n’est-ce pas, qu’un jeune amant, beaucoup plus exaltant qu’un sac Hermès ou un nouveau cabriolet et pourtant, Dieu sait si tu aimes le luxe.
Je m’arrête là Françoise, nous ne sommes pas au tribunal, et je n’ai pas à t’accabler. Ce soir, je vais dîner seul mais je serai heureux, car je vais fêter ma liberté retrouvée. Hier, chez des amis, j’ai rencontré une femme qui m’a plu; pourtant je n’ai pas pris son numéro de téléphone. Si le hasard nous remet en présence, il se passera peut-être quelque chose, mais je ne suis pas pressé. Je veux prendre le temps de regarder les femmes, au café, dans la rue, partout…Toutes ces femmes que je ne voyais plus tant ton image m’obsédait.
Je ne t’oublierai pas Françoise, c’est mon seul cadeau d’Adieu: je ne t’oublierai pas.
SIMON