Les livres découverts par hasard sont souvent les plus belles surprises de lecture. Attirée par le post it posé sur le dernier roman de Marie-Hélène Lafon placé sur l’étal « coups de coeur » de Mollat, j’ai hésité, ai humé l’objet puis l’ai reposé. Ne connaissant pas l’auteur, j’ai acheté un de ses romans paru chez folio: « Les derniers indiens » (Buschet Chastel 2008)
Je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un chef d’oeuvre, mais voilà un roman qui me restera longtemps en mémoire et me donne très envie de lire les autres parutions de son auteur. Car l’écriture est là: sobre, très travaillée, sans être prétentieuse. Et le propos est dense, presque lourd, en dépit de la sobriété. Il n’y a pourtant pas d’histoire, juste un secret très douloureux, qu’on découvrira presque par inadvertance; pas d’intrigue destinée à appâter le lecteur, non, juste le tableau peint avec minutie de paysans qui vivent dans leur ferme du Cantal comme dans un caveau; deux handicapés de la vie, Jean et Marie Santoire-Combes, le frère et la soeur, qui forment un couple improbable. Deux personnages ancrés dans leur terre auvergnate, qui vieillissent chichement, tristement, alors que leurs comptes en banque sont si remplis qu’ils ne savent pas vraiment à combien s’élève le montant de leurs biens. Ils sont figés à la fois dans leur morne passé et l’immobilisme du présent, maintenant que « la mère » est morte. Deux êtres qui n’auront jamais eu de fiancé(ée), jamais eu d’amis, juste des camarades quand ils étaient à l’école et au collège; la maison est le symbole du corps maternel, dont ils n’osent occuper qu’une petite partie, les chambres des disparus étant devenues des mausolées qu’on n’ouvre que pour y passer un coup de balai. La mère, même morte, est omniprésente; c’est elle qui dicte encore par sa mémoire ce qu’on doit faire, acheter, penser. « La mère » était une femme rigide, autoritaire et frigide probablement, qui n’aimait pas son mari comme on aime d’amour un époux, à tel point qu’elle s’est toujours sentie une « Santoire » et pas une « Combes ». Elle a préféré toute sa vie le nom de son père, et n’a aimé d’amour que Pierre, l’enfant chéri, l’enfant prodigue qui est parti travailler à l’usine et s’est mis un jour en ménage avec une divorcée….qu’on ne rencontrera jamais; chez les Santoire, une divorcée de la ville est une femme infréquentable. Pierre est tombé malade, est venu agoniser dans sa famille, laissant une mère inconsolable. Marie et Jean, les mal aimés, n’ont pas vécu, écrasés par une mère omnipotente et un frère qui vivait pour quatre et qui, comme par un fait exprès, meurt avant les autres.
Terrifiant de constater dès le début du roman, qu’un des rares « rêves » de Marie serait de remplacer les bancs de la cuisine par des chaises:
« Elle voudrait des chaises, il ne veut pas, il résiste, il ne la conduirait pas à Riom où elle achèterait quatre chaises solides, et même six, on pourrait, on ne dépense pas, ou rien, c’est rare. On vivote….Elle voit ces chaises qui seraient pratiques, elle poserait des gilets sur les dossiers, on se croirait dans un salon, ou une salle à manger, on s’appuierait, après le repas, ou dans la journée, quand on s’assied, parfois on s’assied, on peut le faire maintenant, on a le temps, personne ne dira rien. »
Désespérant de voir cette femme regarder ses voisins au point de littéralement vivre par procuration en scrutant leurs faits et gestes, en essayant de deviner leur intérieur quand les fenêtres sont ouvertes: ils sont vulgaires, gros, incultes mais terriblement vivants. Chez les voisins auxquels on n’adresse jamais ma parole, il y a des chiens mal élevés, des gosses mal élevés, des voitures et des tracteurs qu’on conduit à toute allure, mais ça crie, ça rit, ça vit, dans un incessant remue ménage.
« Elle comprenait que les voisins ne les voyaient pas, eux le frère et la soeur, parce qu’ils étaient vieux, lents et minuscules. Les voisins allaient vite, ils savaient qu’ils auraient les terres, en fermage d’abord, ensuite elles se vendraient, ils les achèteraient, et la maison aussi, un couple de jeunes l’habiterait, ou la transformerait en gîte pour les touristes. Les voisins auraient tout, ils feraient fructifier. Le temps passait pour eux. Elle se sentait à côté d’eux comme un insecte. Elle ne leur disait pas bonjour, elle n’en avait pas envie, et elle ne se cachait pas pour les regarder, ils servaient à ça, au spectacle. »
Ce roman m’a beaucoup émue car j’en ai vu enfant, des personnes qui ressemblaient aux Santoire: des paysans ou des petits bourgeois économes, coincés par le qu’en dira-t-on, des gens qui ne vivent plus à force de s’interdire à peu près tout.
La fin est glaçante, inattendue. Quand on parvient aux derniers mots de la dernière page, on laisse les « Santoire » avec tristesse, mais aussi avec la joie d’avoir lu un très beau livre.
Voilà encore une bien jolie note de lecture qui donne véritablement envie de le découvrir ce livre. Merci Marie.
@Gaël
Je me suis « appliquée » car j’ai eu une sorte de coup de foudre pour cet auteur. Quand l’auteur est excellent, le blogueur n’est pas mauvais;)
« Quand l’auteur est excellent, le blogueur n’est pas mauvais ». Drôle d’adage des temps nouveaux qui me rappelle les théories déterministes, cette nécessité des phénomènes et tous ces liens de causalité… Popper aurait aimé, assurément.
Bonjour,marie,
je me régale à vous lire chaque fois mais cependant vous désapprouve dans cette « maxime » que vous faites vôtre; non, pour moi, parler de bons auteurs n’implique pas que l’on soit de bons blogueurs.C’est tout un talent d’écriture, d’analyse et je sais que moi même, j en serai fort incapable, même s’il s’agissait de relater mes impressions après la lecture d’un livre passionnant. Je saurai juste exprimer des émotions.
je vous embrasse chère Marie et vous remercie du plaisir que vous nous donnez grâce à vos billets…
Merci Indigotine, vos encouragements me font plaisir et me motivent pour continuer!
Oui, Marie, Indigotine a raison, il faut aussi du talent,de la passion , le sens de l’analyse pour pouvoir écrire sur un livre et je pense que vous nous l’avez à maintes fois prouvé ici.
ça n’est pas en effet systématique: bons livres = bons critiques !
Il est heureux aussi que des auteurs comme Marie-hélène lafon nous livrent de temps en temps par le biais de leur récit, la « petite vie » des « vrais » gens, les « caractères », les drames, les souffrances, les secrets… la province , retour aux Maupassant, Flaubert etc… je crois que cela fait du bien de se plonger parfois dans ce genre de roman.
et puis d’où l’on voit là, l’importance aussi des libraires dans la visibilité des auteurs : »Attirée par le post it posé sur le dernier roman de Marie-Hélène Lafon placé sur l’étal “coups de coeur ” de Mollat »… *_*
Une chose est sûre, Marie, vous savez partager vos découvertes: on a envie de vous suivre dans vos lectures… j’allais dire les yeux fermés (vous m’objecterez que pour lire c’est pas très commode!)
merci pour vos comms, Cécile et Yola. Cet après-midi à la Fnac, j’ai vu « Les derniers indiens » en poche placé à côté de l’Annonce », dans les nouveautés. Cela fait plaisir de voir qu’il y a quelques libraires qui font bien leur travail…
Ca parait fort intéressant effectivement. La vache !! On se croirait en plein dans le « pays perdu » de Jourde. Merci pour ce descriptif Marie.
@Koala
Dites donc, koala, vous réservez la grande nouvelle pour Marco ? Je viens de voir que baby Koala est né ! Tous mes voeux accompagnent l’arrivée du petit Sasha; fait-il ses nuits, parvenez vous à fermer l’oeil?
Sinon, oui, MH Lafon est vraiment un écrivain à découvrir.
Non. J’ai des cernes bleutés du plus bel effet, avec les finitions en jambon de Parme et le teint cireux pour aller avec. Le total-look du jeune papa de quelques semaines en somme.
Quant à l’exclusivité chez Marco, certes, mais c’est normal: il avait payé.
@Koala
bah, vous verrez, malgré les nuits blanches, les premières dents, les premières chutes quand bébé marche, le stress des rentrées scolaires, l’agressivité de l’ado tourmenté, c’est que du bonheur!!!
Tout à fait d’accord: les nuits paternelles, y a pas mieux (enfin, après les jeux videos en réseau).
Merci, Koala, de ne pas avoir dévoilé l’exorbitant montant de tes honoraires.
Marie Hélène Lafon, je n’y arrive pas trop, pour l’instant (quelques pages « essayées »), à retenter plus tard, donc
@Marco: normal que vous n’accrochiez pas à MHL puisque vous êtes en hibernation. Il vous faut des lectures berçantes;) Comme pour les petits^^
La vache ! Mais c’est qui s’passe des trucs pendant qu’je soigne ma dépression saisonnière… Héééé ouais… Le monde y continue de tourner ! Alors j’le dis tout haut puisque les femmes mettent bas : toutes mes félicitations, Koala. Je lève mon verre à la santé de toute la famille de marsupiaux.