En rangeant ma bibliothèque je suis tombée sur un livre acheté voilà quelques années: « Un été d’écrivains », compilation d’entretiens radiophoniques entre Brigitte Kernel écrivain et journaliste, et des écrivains reconnus, ou du moins suffisamment connus pour intéresser le public de France Inter.
Dans chaque entretien, la journaliste pose la question: « Pourquoi écrivez-vous » ou « Que représente pour vous l’écriture ».
Parmi toutes les réponses, les trois qui m’ont paru les plus sincères, et donc les plus intéressantes:
« Parce que j’aime ça et que ça me rapporte ».
Voilà une réponse franche et sans détour. L’auteur de romans policiers (pas mauvais d’ailleurs, surtout les premiers ) dit tout haut ce que beaucoup d’écrivains abonnés aux best-sellers n’avouent pas: quand on vend bien, l’écriture est un bon plan. Passer plusieurs heures par jour assis confortablement chez soi à travailler un roman vous permettant de gagner de quoi écrire le suivant sans travailler à côté, on imagine qu’il y a pire comme quotidien.
Et puis surtout elle fait ce qu’elle aime: un jour elle a commencé à écrire une histoire et n’a plus pu s’arrêter; et hop, c’était parti. Une sorte de Simenon au féminin, la Tabachnik.
J’avoue que je n’ai rien lu d’elle, mais je vais m’y mettre car sa réponse était la plus étonnante et la plus approfondie:
« L’écriture est la meilleure solution pour vivre enfin. Je veux dire: vraiment. Parler pour dire quelque chose n’est pas naturel pour moi. Les mots vont trop vite, on les choisit mal, ou pas assez scrupuleusement, bref, je ressens l’oral comme une version approximative de la pensée. C’est un truc qui sert à renseigner, alerter, bavarder, certainement pas à dire. Ecrire c’est dire, avec toute la permanence des choses importantes, c’est se mouiller au travers de ses mots. C’est aller chercher au fond de soi des mots et les raisons de ces mots. C’est aussi accepter la modification. Je ne garde pas trop le souvenir des conversations que j’ai pu avoir, et m’ont peu modifiée. Je sais exactement ce que j’ai écrit, pourquoi, et combien le fait de ne pas trouver les mots m’indiquait que j’avais tort, pas compris, pas senti, pas vu. Cette prise de réalité, de vérité, s’étend à la lecture parce que je me souviens aussi très précisément de ce que j’ai lu. J’ai appris à vivre dans les livres. J’ai compris ce qu’étaient les émotions, la rage, l’amour, les faux-semblants dans les lignes des autres. La vie n’a été qu’une confirmation expérimentale. »
Définition à la fois terrifiante et bouleversante: l’écriture permettrait de dire ce qu’on arrive pas à dire et de vivre pleinement ce qu’on ne parvient pas à vivre dans la réalité. Vision extrême de l’écrivain, considéré comme un handicapé existentiel qui ne vit complètement que dans les livres, ceux qu’il écrit, ceux qu’il lit.
« Peut-être pour être aimé. On écrit pour soi et si on décide de publier, de livrer ce qu’on écrit aux autres, c’est au fond pour trahir ce besoin de dire « aimez-moi. »
Jolie réponse, qui se passe de commentaires.
Et vous chers amis, pourquoi écrivez-vous?
C’est vrai que Georgette Simenon est à l’origine d’une oeuvre immense, rien à dire. Sacrée bonne femme Il était temps, en effet, qu’un Simenon au masculin vienne tenter de le déloger.
Moi ? J’écris pour corriger. Une bonne fessée, la plupart du temps ! Et au lit sans dessert !
@NLR
J’ai « corrigé » le lapsus concernant Simenon; on ne se corrige jamais assez, surtout quand on confond la droite et la gauche, le masculin et le féminin…Votre comm est du coup incompréhensible pour ceux qui n’ont pas lu l’article avant, tant pis;)
Concernant vos propres écrits, ne vous corrigez pas trop durement, tout de même…
« … on écrit aussi parfois à partir de ses empêchements, de ses insuffisances. Le manque est un moteur puissant, et c’est pour combler un manque qu’on écrit. Si nous étions véritablement heureux, nous n’aurions pas à écrire. »
Charles Juliet.
Oups. mauvaise manip. Je signe le 3ème commentaire en partageant ces quelques mots de Charles Juliet.
@Gaël.
Un grand bonhomme, Charles Juliet. Effectivement, noircir du papier, ou l’écran d’une page word pour ceux qui parviennent à trouver l’inspiration du premier « jet » devant leur PC, quand on a la chance de pouvoir s’exprimer avec ses mots à soi, est un façon salvatrice de combler les manques quels qu’ils soient.
« L’écriture est pour moi le moyen de communication avec mes lecteurs, avec vous. C’est à travers mes écritures que j’exprime ce qui est le plus profond en moi : mes émotions, mon hypersensibilité, mon trop plein. A travers mes personnages, je me livre à vous, je vous fais part de ce que je dissimule dans la vie quotidienne non pas par mauvaise fois, mais par une incapacité de relativiser l’expression de mes propres émotions.
A travers mes personnages, je questionne le lecteur, vous, sur des sujets graves qui nous entourent et qui nous touchent presque à notre insu. Je vous laisse en compagnie de mes personnages… »
extrait http://valychristineoceany.unblog.fr/2008/06/15/7/
Comme tu vois Marie mon le « pourquoi » rejoint un peu celle d’Andrea H.Japp.
Dernière publication sur Valy-Christine Océany : Mes livres avec dédicace
@Valentina
Je suis heureuse de te voir de retour dans la blogosphère.
Je vais lire l’extrait proposé, je commenterai sur ton blog.
…mais j’ai bien aimé l’explication de Jens Christian Grondal : « »Raconter n’est pas seulement conserver des souvenirs, mais aussi en éliminer. »
amitié Valentina
Merci Marie. Je ne sais pas si je suis de retour pour de bon car je me sens encore très vulnérable, incapable pour le moment d’exprimer ce que je vis intérieurement, c’est au delà des mots…
Dernière publication sur Valy-Christine Océany : Mes livres avec dédicace
Comme le savait Borges, il n’existe qu’un seul livre. L’écriture qui s’en fait à travers les uns et les autres est plus ou moins proche de l’archétype, selon qu’est injectée une plus ou moins forte dose d’individualisme et je dirai même, pour ma part, d’oraison. On écrit pour que s’opère une incarnation dans le corps du langage, et pour, de là, remonter à l’origine qui nous dépasse tout en nous fondant. L’écriture, c’est une prière, c’est un ballet, c’est David qui chante les psaumes, nu devant l’Arche d’Alliance!
@Paul Bunyan.
Ce que vous décrivez à votre façon lyrique, je l’ai rarement ressenti en lisant. Vraiment rarement; quelques pages de Dostoievski, quelques poèmes, certaines pages de Proust, et la Bible, bien évidemment, dans mon jeune temps. Je suis plus encline à ressentir ce que vous décrivez, en regardant des tableaux ou en écoutant de la musique. Je ne mets pas la littérature sur le même plan sacré que vous, et ne recherche pas la même chose que vous dans la lecture, ni dans l’écriture, d’où nos fréquentes divergences. Mais comme vous m’en faites part très poliment, je respecte et comprends votre point de vue.
Toute recherche de satisfaction esthétique, accord musical, phrase, matité, tout cela, même grevé du mercantilisme le plus putassier, participe de notre nostalgie fondamentale de la Plénitude Perdue, état que l’être humain connut jadis en des temps lointains et des forêts plus vertes, lorsqu’il comprenait ce « langage des oiseaux » dont parlent les soufis.
«Je découvrais ainsi que, pour peu que l’on se montre accueillant à son égard, un mot n’arrive jamais seul. Il entraîne avec lui tous ceux de sa tribu […] qui de toute évidence n’attendait pour faire irruption que cette brèche creusée par l’un des leurs.» Cet argument emprunté à Marcel Bénabou me va bien: un mot, un autre, juste pour les faire jouer ensemble et s’amuser avec eux…
Pour échapper à la dépression.
…
C’est drôle, j’ai l’impression de proférer une banalité et pourtant personne ne l’a dit comme ça. Voilà qui m’étonne sincèrement. Qu’on ne me dise pas que je suis dans un nid d’écrivains non-dépressifs. Si c’est ça je me casse tout de suite.
@Koala
Je suis quasiment née avec le spleen, (au sens baudelairien, of course), vous êtes donc le bienvenu;)
Depuis des années, j’essaie de me maintenir dans une cyclothymie supportable…Comme beaucoup de gens, j’imagine!
Tout à fait d’accord avec Vitoux. Pis quand j’ai pas envie d’écrire, je me tape une tablette de Milka, pour compenser.
L’écriture a toujours été pour moi la meilleure des thérapies. Poser des mots, retranscrire mes pensées me permet de maintenir un certain ordre dans ma tête/pagaille.
Mais mon commentaire ne fait que paraphraser celui de Koala
Il m’arrive souvent de me réveiller en pleine nuit avec toutes sortes d’idées en tête (souvent contradictoires d’ailleurs). En les mettant par écrit, je me rends compte que malgré moi, j’ai fait le tri.
En revanche, si je ne les écris pas, elles risquent de me hanter un bon bout de temps.
Beigbeder disait « J’écris pour savoir ce que je pense », je me rapproche assez bien de cette définition à laquelle j’ajouterais toutefois » et pour trouver le sommeil ».
@Cynthia
Elle est intéressante l’idée de Beigbeder: effectivement, quand on a des retours, on est souvent surpris de découvrir des choses dans un texte que les lecteurs ont perçu, et qui auraient dû nous sauter aux yeux.
Bon, êtes-vous d’accord avec cette assertion : quand on écrit on doit le faire pour (ordre décroissant d’importance) :
- soi (éviter le déprime du marsupial, ou plus généralement faire une autoanalyse, exprimer des sentiments enfouis etc.)
- son cercle familial/d’amis (pour les épater, avoir un retour, les faire réfléchir, leur offrir une sorte de cadeau intime etc.)
Et c’est tout. Je ne mets pas l’éditeur en 3ème tiret. Parce que l’édition ne doit être que la cerise (Lucien ?) sur le gâteau.
Sinon on se fait du mal.
Après, on déprime.
Et pis on rumine grave.
Alors on crée un blog pour se soigner en sortant toutes ses mauvaises pensées de notre cerveau malade. Aïeuh.
@24hcolo. On écrirait pour soigner ou éviter la déprime; pour beaucoup d’auteurs ça doit être vrai. mais si le fait de ne pas être publié nous déprime, est-ce bien raisonnable? Faudrait former une sorte de cercles d’auteurs repentis, avec réunions hebdomadaire de désintox de l’envie irrépressible d’écrire, comme dans « Première ligne », roman de Laclavetine datant de 1999:-D
Excusez moi, Marie Lebrun, de commenter cet article maintenant assez vieux mais j’ose imaginer que cela ne vous gênera pas outre mesure.
Je suis tombé tout a fait par hasard sur votre blog, cherchant pour tout vous dire une autre Marie Lebrun ou au moins les traces de son existence.
Très personnellement, je dirais que j’écris souvent à cause d’un trop, d’une présence étrangère en moi. Je l’appelle muse ou amour ou imagination.
Bien que je n’ai pas vécu assez longtemps pour dégager une rêgle, je pense que l’on écrit ce qui nous dépasse. Les mots sont alors extérieurs à nous. On peut les voir et comprendre notre part d’étrangeté.
Ecrire, je l’entend presque au terme de se confier, confier à l’émotion et à la folie le soin de s’enchasser dans la beauté.
Votre blog est très agréable à parcourir.
@Le hasard vous a guidé ici: bienvenue ! Et merci de « trouver ce blog agréable à parcourir ». C’est vrai qu’il est un peu « foutraque », mais on peut y trouver ça et là de quoi lire ou s’amuser.
« Ecrire c’est se confier » dites-vous: la page blanche vue comme confidente, c’est une belle image.
Merci, je pense que c’est une idée plus que commune du fait qu’elle est fondamentale surement.
C’est d’ailleurs ce que j’aime sur le net, on rencontre des inconnus. Nous sommes des pages blanches les uns envers les autres et le temps qui passe est un fleuve d’encre. Il y trace un lien qui nous rapproche.
J’ai l’impression d’être un KDAIDDJ (Kevin, douze ans, internet depuis deux jours), c’est étrange…
Je redeviens curieux sur un blog c’est assez étonnant.
Excusez moi. J’aurai une question Marie, (pourrais je vous appeler par votre prénom s’il vous plaît ?), quel est votre raison d’écrire ? J’ai lu les deux pages précédentes et je n’ai pas trouvé la réponse. Vous avez le spleen baudelairien dites vous… Mais cela n’exclut il pas une écriture purement thérapeutique ? Le spleen baudelairien n’incarne t il pas plutôt le désespoir face à l’absolu, une recherche d’absolu ?
@Pascal S.
Au risque de vous décevoir, « dans la vraie vie » Marie n’est que mon 2ème prénom à l’état civil et donc mon nom d’usage est différent;)
Pourquoi écrivez-vous ? Voilà une question plus difficile pour moi qu’un sujet du bac philo… Non franchement, je n’ai pas trouvé encore la réponse. J’imagine pourtant que le but recherché est un peu le même que lorsque j’étais plus jeune: j’aimais écrire déjà à douze ans, puis faire lire et qu’on me dise « c’est bien, j’ai aimé ». J’ai vraiment un souvenir fort du jour ou le prof de français a lu ma rédaction en disant que c’était original, très bien observé ce que j’avais écrit. En fait je vois le fait d’écrire comme un travail d’artisan qui demande beaucoup de temps et qui est pourtant vite consommé par le lecteur. En somme le temps qu’on y passe est au fond plus précieux que le résultat final et c’est pourquoi quand on y réfléchit, c’est absurde de vouloir être publié et lu par plein de lecteurs. Et pourtant l’auteur rêve de publication…La vie est compliquée;)
Le fait que ce soit thérapeutique: sans doute, même si je ne m’en rends pas compte; dans mon cas, quand je rencontre de vraies difficultés, écrire un journal de temps en temps m’aide beaucoup. C’est très différent de l’écriture de fiction, là je ressens une vraie liberté. Mais mon journal (épisodique) personne ne lira jamais ce qui y a été écrit;)
Vous ne vous appelez pas Marie dans la vraie vie… Peut importe ou plutôt non cela change quand même quelque chose mais bien peu et c’est tant mieux. Marie est le plus beau prénom au monde et vous avez Marie beaucoup de goût de l’avoir adopté.
« Marie, qui voudrait votre nom retourner,
Il trouverait aimer… »
Pourquoi n’avoir pas pris votre nom de baptême, Marie ?
Je n’avais que rarement rapproché le métier d’écrivain de celui d’artisan. Je crois que la seul fois c’était en réfléchissant sur l’Art poétique de Boileau. C’est vrai que dans l’immédiat le livre travaillé et remis sans cesse sur l’ouvrage se fait dévorer par le lecteur. Mais le livre durera, même un manuscrit peut trouver ses lecteurs des décennies après la mort de l’Auteur.
La littérature est pure expression, elle est le chant qui passe d’âge en âge et viens lécher les bords de l’immortalité. Lorsque l’on se reconnaît auteur on lui prête notre voix. On attend des autres qu’ils la reconnaissent à travers nous.
Marie, excusez moi du language mystique, il n’est pas adapté à ce que j’essaye de dire mais métaphoriquement il s’en approche… non ?
@pascal S:
Je n’ai pas pris mon prénom par commodité, sur la toile c’est mieux de brouiller les pistes.
L’immortalité de l’oeuvre: au fond de nous, quand on laisse une trace écrite sur terre, c’est ce que l’on cherche, avec beaucoup d’illusions. Mais il est important et nettement plus accessible, déjà, de toucher quelques lecteurs de son vivant. Parce qu’à part les grands classiques, et les petits nouveaux, qui lira-t-on dans 50 ans ? Tout a été écrit, il faut être novateur et faire preuve de génie pour marquer une époque. aussi restons modestes, écrivons pour les contemporains qui veulent bien nous lire.
Bel échange tous les deux. Ah tiens, « Marie 2″ se dévoile un peu !
Marie est effectivement le plus beau prénom du monde ! D’ailleurs mes 3 enfants ont ce prénom, même mon dernier qui est né le 15 août !
@ Pascal : je suis tout à fait d’accord pour l’idée du « trop » et de la confidence. Personnellement, j’écris parce que j’ai l’impression (ou une réalité !) d’une solitude immense née de l’impression (ou de la réalité !) que personne ne comprend ma pensée. J’ai essayé de partager avec 2 personnes physiques, c’était très profond mais ça a toujours clashé car j’allais trop loin dans le « décorticage de leur esprit ». Comprendre l’humain est chez moi une véritable obsession. Du coup, écrire donne l’illusion qu’on se confie au monde, à tous ceux qu’on ne peut pas voir. Sauf qu’à un moment il faut bien que le public prenne véritablement chair ! Et on retrouve la problématique du « comment trouvez son lectorat », la boucle est bouclée et j’ai la dalle.
A bientôt !
Serge (qui n’est pas du tout un de mes prénoms !)
La postérité n’est plus de mise… j’oubliais notre monde à la chaleur d’un micro-onde et l’alimentation rapide n’est que le symbole de notre mode de vie rapide elle aussi et tout aussi insipide quand elle ne se détache pas de son modèle.
Justement il faut aller plus haut que ne nous permettrait la société ou au moins viser plus haut, vers la postérité vers une vision véritable de ce qui ne l’est pas et ne peut pas l’être.
Pour votre prénom Marie, je reste sur Marie, c’est plus commode, cela vous coûte peu et me fait plaisir.
Bonjour Serge, avec des personnes physiques il est difficile d’arriver à exprimer facilement les pensées les plus complexes, celles que l’on veut justemnt confier. Les mots sont trop proches les uns des autres, et lorsque l’on tente une image en en prenant deux lointains, on tombe dans l’hermetisme…
Je pense qu’un lectorat se trouve au carrefour entre le beau et la perfection. C’est peut être un peu vague, mais pointer le Nord quand on est déboussolé c’est déjà ça.
J’écris pour me faire croire que je suis toujours vivant